Un père et son fils, dans un contexte improbable ou que l’on espère tel. Les événements qui ont eu lieu, l’environnement dans lequel ils vivent, la lutte pour la vie à chaque seconde, sans répit, sans espoir c’est ce qui fait avancer ces personnages. La voilà la route sur laquelle ils marchent, avec comme seul but d’aller vers le Sud. Et pourtant, ils vivent ces deux personnages, par leur relation, par leur volonté de rester des « gentils », c’est-à-dire des êtres humains. C’est bouleversant. L’écriture surtout me touche. Quel beau travail de traduction! Des phrases construites de telle façon que le lecteur voit les gestes, les attitudes, ressent les sentiments des personnages, leurs émotions alors que le champ lexical des émotions et des sentiments est quasiment absent de ce livre. Mais tout est dit dans ce qui n’est pas dit mais montré. Tout est dit de manière si juste dans les dialogues aussi. Ecoutez: » Il y avait dans le plancher un anneau vert-de-grisé. Il allongea le bras et reprit le balai et balaya la cendre. Il y avait des traits de sciage dans les planches. Il nettoya les planches avec le balai et s’agenouilla et replia les doigts dans l’anneau et souleva la porte de la trappe et l’ouvrit. » Ce « replia les doigts dans l’anneau« …Comme si on nous passait les images d’un film au ralenti ou image après image. Et cela donne tellement de chair aux personnages! Et ce dialogue:
» On ne mangerait jamais personne, dis-moi que c’est vrai?
Non.Evidemment que non.
Même si on mourait de faim?
On meurt déjà de faim maintenant.
Tu as dit que non.
J’ai dit qu’on n’était pas en train de mourir. Je n’ai pas dit qu’on ne mourait pas de faim.
Mais on ne mangerait personne?
Non. Personne.
Quoi qu’il arrive?
Jamais. Quoi qu’il arrive.
Parce qu’on est des gentils.
Oui. »
Un quête de vérité des personnages, de leur relation qui est aussi celle d’une écriture la plus riche et la plus dépouillée à la fois. Chaque objet décrit ou évoqué est appelé par son nom exact, technique s’il le faut. Aucun à peu près, les gestes sont décomposés, les paroles sont le plus souvent brèves parce que les mots ne peuvent dire les sentiments, mais ces quelques mots entre le père et l’enfant sont lourds d’une telle intensité, d’une telle vérité de ce qui est éprouvé que le lecteur est constamment ému, au bord des larmes. Comme les personnages qui pleurent aussi. Ces larmes on les retrouve dans les autres romans de l’auteur. Lisez La trilogie des confins: ces jeunes cow boys qui partent chercher l’aventure et surtout quittent un quotidien sans travail et sans espoir, ne parlent pas beaucoup mais s’arrêtent parfois au bord des chemins et versent des larmes. Il y a chez Cormac McCarthy quelque chose de tragique. Les larmes sont purificatrices et elles sont l’expression vraie d’un bouleversement. On peut parler faux, on ne peut pas pleurer faux.
Alors que boire après une telle lecture, un tel coup de poing? Moi, j’ai eu la gorge trop serrée et je n’ai rien avalé. Sauf ce livre qui restera un de mes livres de chevet.